Avant la toute récente invention des réseaux d’eau potable, boire de la bière était une bonne manière de se prémunir de maladies bactériologiques. La compétition exercée par les levures et le taux d’alcool en sont deux bonne raisons, la troisième est l’infusion de houblon, une plante aromatique aux propriétés bactéricides uniques.
Aujourd’hui indissociable de la bière, le houblon n’est que très récent dans l’histoire de cette boisson, relativement à sa longue existance. Moins récente est l’utilisation de plantes dans la bière qui à l’instar du houblon, par leurs propriétés antibiotiques, favorisaient la fermentation alcoolique contre des fermentations moins désirables comme l’acétique qui donne du vinaigre, voire des contaminations par des organismes pathogènes.
On retrouve dans les premières traces de bière de nombreuses plantes différentes. Au début de notre ère les cervoises aromatisées au myrte, à l’armoise, au lierre, au romarin, au genièvre ou à l’absinthe sont alors légion. Le mélange d’herbes utilisé, recette secrète de chaque brasseu·se·r/druide·sse, est appelé le « gruit » et chaque village produit sa « cervoise ».
Le houblon est très proche du cannabis et de l’ortie. C’est une liane vivace rampante en l’absence de tuteur et qui épuise le sol, d’où le nom Humulus (Terre) Lupulus (Loup) pour son appétit. Il pousse (encore aujourd’hui) à l’état sauvage dans les bois humides et le long des haies et cours d’eau et se repère bien à ses inflorescences femelles, des cônes verts clairs suspendus à des tiges volubiles de 1 à 6m, (jusqu’à 12 en mode culture…) On l’appelle aussi vigne du nord ou salsepareille indigène.
On retrouve des traces de son utilisation brassicole dès 768, ses avantages par rapport aux autres plantes pour préparer ce qui va devenir la bière et supplanter la cervoise sont théorisés dès le XIIème s. Le houblon finit de s’imposer en 1516 par la « loi de pureté » (dont une version a encore cours en France pour le terme bière) qui précise que c’est la seule plante acceptable pour l’aromatiser. Et pour cause, ses tanins lui confèrent un pouvoir conservateur sans pareil, tant anti-oxydant que bactéricide, allant même jusqu’à favoriser la tenue de mousse. Sa culture est facile, et il pousse rapidement et abondamment un peu partout. Son utilisation massive pendant les siècles d’expansion de la boisson, le rend alors indissociable du gout que l’on attend d’une bière : amère et aromatique, deux propriétés apportées par son abondante résine jaune, la lupuline, qui contient huiles essentielles (aux bouquets infiniment variés) et acides amers (uniques dans le monde végétal).
Difficile d’imaginer meilleur candidat pour balancer la rondeur du malt. Il faut faire l’expérience de boire une bière sans houblon pour comprendre à quel point c’est une découverte majeure de l’humanité.
L’actuel renouveau de la bière et l’essor des micro brasseries est en grande partie porté par l’utilisation massive de houblon et la désormais célèbre IPA (India Pale Ale), style anglais, dont l’histoire, transmise de hipster en hipster donne quelque chose comme « bière très houblonnée pour sa conservation jusqu’aux Indes ».
Il faut dire que les prédispositions génétiques de la plante doublées des différents terroirs du monde sur lesquels des passionnés s’échinent à sélectionner le lucratif nectar donnent des résultats qui ne peuvent pas laisser indifférents et dont les profils relèvent de la parfumerie : Au côtés des arômes plus rustiques et traditionnels de feuilles, de résine et de terre, se sont développées plus récemment, au fil des sélections et selon les cultivars des notes prononcées d’épices, de fleurs et surtout de fruits (agrumes, baies, fruits tropicaux ou à noyaux) que l’on reconnait instantanément à la dégustation d’une bière aux hybrides américains, australiens ou néo-zélandais.
Ainsi, grâce à une seule et même plante, et par un savant dosage de variétés et d’ajout successifs à différents moments (l’amertume demande du temps à chaud tandis que les arômes sont plus fragiles, s’infusent rapidement ou à froid, et se combinent avec les levures), on voyage dans la bière grâce au houblon, de la menthe au citron vert, du poivre à l’abricot, du cèdre au litchi, de la cassis à la violette.
Avant la relocalisation des productions de bières sur tout le territoire, les cultures de houblon se cantonnaient à quelques région d’Europe spécialisées avec des variétés très traditionnelles et peu excitantes. Ces derniers temps des micros-houblonnières sont en train d’essaimer un peu partout à la suite des micro-brasseries et si les variétés américaines sont encore à ce jour incomparablement plus exaltantes que les européennes, de nombreuses variétés passent petit à petit dans le domaine public, la recherche européenne fait de son mieux pour rattraper l’immense retard, et les producteurs proposent de plus en plus de petites pépites qui nous permettrons demain d’inventer des typicités de bières houblonnées à l’européenne.
Très inspirés par l’histoire commune des hommes et des plantes et du terrain privilégié qu’a représenté l’aromatisation de la bière dans cette romance, nous voulons travailler également avec des plantes aromatiques et sauvages sur des brassins éphémères qui émailleront les saisons des Brasseurs Cueilleurs dans la plus pure ligne gauloise.
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Hop par Peter Weemeeuw / Casacde Hops rhizomes par Chris Waits / Hop Spillage par epicbeer / Hops plants in a field par Kopretinka